D’Iztapalapa à Béthune, beaucoup de km mais des problèmes similaires

De 2014 a 2019, avec l’entreprise sociale Tenoli, j’ai travaillé avec des petites épiceries de quartier (“tiendas de abarrotes” ou “changarros” au Mexique) à Iztapalapa et Ciudad Nezahuacoytl, les municipalités de Mexico les plus peuplées (3.5 millions d’habitants), les plus denses et les plus pauvres (plus de 40% sous le seuil de pauvreté). 

En écoutant les débats actuels sur la digitalisation des petits commerces en France et en discutant avec l’équipe qui gère Lebonpourmaville – un programme porté par leboncoin, en partenariat avec Archipel&Co, dont l’objectif est de mobiliser les citoyens en faveur de leur centre-ville, notamment en utilisant le numérique comme outil pour recréer du lien entre citoyens et commerçants (https://lebonpourmaville.fr/avecmoncommercant) j’ai été frappé par la similitude des barrières et obstacles à la digitalisation des commerces de quartier entre le Mexique et la France. 

Au Mexique, les “tienditas” sont des commerces traditionnels omniprésents – il y en a entre 600,000 et 1,000,000 selon les estimations – et représentent plus de 50% du secteur de la distribution. De nombreuses plateformes et start-ups se sont positionnées sur ce créneau pour offrir une solution (hardware, software ou les deux). Beaucoup proposent des terminaux de vente ou des applications afin de mieux gérer leurs stocks et de mieux piloter leurs ventes. Certaines entreprises ont investi massivement pour équiper les commerces d’un terminal physique et les inciter à numériser toutes leurs opérations. De grandes enseignes comme Bimbo (une des plus grandes entreprises du Mexique) ont aussi essayé de relever le défi de la digitalisation des 800,000 “tienditas”. 

Carte des épiceries de quartier qui faisaient partie du réseau Tenoli – 4,000 boutiques au total avec une très forte densité a Iztapalapa et Nez

Mais personne n’a réussi encore à “craquer” le problème. Et quasiment tout le monde a perdu beaucoup d’argent sur le chemin. Aucune solution n’a été véritablement adoptée par les commerçants. Aucune solution ne compte d’ailleurs plus de quelques milliers d’utilisateurs (sur plus de 800,000 tienditas). Et l’on compte plus d’utilisateurs qui ont abandonné plutôt qu’adopté les outils digitaux installés. Nous avions d’ailleurs observé une “règle des 7 jours” : au bout d’une semaine la plupart des commerçants abandonnent tout ou partie des outils digitaux qui ont été installés dans leur boutique.

Ici comme là-bas la digitalisation est érigée comme Graal et objectif ultime des politiques de soutien et d’inclusion des petits commerces. Ici comme là-bas, beaucoup d’acteurs – fintech, social start-ups, grande distrib et fournisseurs, centrales d’achats, plateformes ecommerce – se sont lancés dans la course pour digitaliser les micro-entreprises. Les solutions offertes incluent le paiement mobile, la numérisation de leurs process opérationnels, la connexion aux chaînes de valeur (fournisseurs), et la communication avec les clients (marketing et ecommerce). 

Ici comme là-bas, la priorité et les financements vont à “l’outillage” des commerces (comme le montre encore l’annonce du gouvernement du 10/11/2020 pour aider les commerçants à créer leur site internet)

Mais la plupart des solutions se heurtent à l’adoption et l’utilisation par les commerçants. Parce que la majorité des acteurs qui travaillent sur le sujet a sous-estimé la formation et l’accompagnement requis pour l’adoption réelle de leurs outils. Utiliser un terminal de vente dans une “tiendita”  au Mexique demande au commerçant de révolutionner sa façon de faire du business. Les échanges ne peuvent plus être informels, mais tous enregistrés par le terminal; le neveu qui aide occasionnellement dans la boutique doit aussi être formé à l’utilisation du terminal de vente; le livreur de la grande enseigne doit aussi accepter de passer plus de temps les 1ers jours afin que le commerçant maîtrise l’enregistrement des entrées de produits dans son stock “digital”. 

En France, il ne s’agit pas seulement de créer un site internet ou de rejoindre une marketplace. Mais bien de repenser à la relation clients et à l’activité du commerce avec ces nouveaux outils à disposition. La digitalisation demande un réel changement des usages quotidiens et de la façon d’opérer de commerces qui fonctionnent de la même façon depuis des dizaines d’années. Aujourd’hui les outils existent mais le sujet central doit être la place du digital dans le métier des commerçants et des TPE et, partant, l’adoption du digital.  Le sujet n’est pas (seulement) le coût d’installation de la technologie/du digital pour la TPE – mais le coût induit/caché de son adoption et de son utilisation. 

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