En juin 2014, avec 2 amis, j’ai créé une entreprise sociale, Tenoli, au Mexique. L’entreprise a fermé 5 ans plus tard, parce que nous n’avions pas réussi à trouver le modèle de revenus adéquat ni à lever suffisamment de fonds pour continuer à chercher (tiens il faudrait que j’écrive un vrai article sur la fermeture de Tenoli).
Mais je me pose souvent la question comment et pourquoi Tenoli a pu survivre 5 ans. Et non pas seulement 3 mois. Et comment avons nous pu transformer un projet entrepreneurial en entreprise. C’est à dire comment avons nous pu passer ce cap si important du recrutement de nos premiers employés (et compter jusqu’à 80 employés), embarquer d’autres personnes dans l’aventure et faire d’un projet personnel un projet collectif?
C’est un bon exercice de lucidité et d’honnêteté intellectuelle. Aujourd’hui, je crois que si l’entreprise a pu survivre et croître les premières années, elle ne le doit pas seulement à l’idée et au concept ni à un quelconque talent ou audace d’entrepreneur. Jamais nous n’aurions pu lancer et développer l’entreprise sans certaines ressources et coups de pouce – en d’autres termes sans les privilèges auxquels nous avions accès.
Ressources et coups de pouce dont la plupart des entrepreneurs manquent non seulement à leur création mais tout au long du cycle de vie de leur entreprise. J’ai commencé un inventaire à la Prévert de ces privilèges qui nous ont aidés à lancer la boîte et survivre les premiers mois et premières années.
- Formation : c’est plus facile avec la bonne information
Mes deux cofondateurs et moi avions tous les 3 des masters en administration et avions plus ou moins comment gérer une comptabilité, ouvrir un site internet, écrire un business plan pour des investisseurs, faire des projections et gérer des budgets, etc. Soyons clairs : ce n’est pas avec un master qu’on apprend à monter une entreprise. Mais cette formation nous a donné une boîte à outils et la capacité de s’informer et de naviguer dans les systèmes d’aide et d’accompagnement.
Justement, l’accès à l’information est clé. Savoir naviguer et identifier les ressources à disposition : subventions, incubateurs ou accélérateurs, programmes d’accompagnement, etc. Mais il faut connaître et savoir accéder à ces ressources. Souvent ceux qui en ont le moins besoin qui y ont le plus facilement accès.
- Réseaux et accompagnement : c’est plus facile avec des coups de fil à un ami
Dès les premiers jours de Tenoli, nous avons pu présenter le projet à des clients potentiels, des investisseurs potentiels et des experts du secteur. Nous avons accès à des personnes qui ont financé les premiers tests et pilotes de l’entreprise. Nous avons eu accès à des personnes qui ont accepté de payer les premiers services pour apprendre avec nous. Nous avons eu accès à des personnes qui nous ont donné des conseils avisés ou, tout simplement, qui nous ont donné une tape dans le dos.
Aussi, dans les 3 premières années de Tenoli nous avons fait partie de 4 incubateurs et accélérateurs (4 !!). Nous avions le profil, les études et le langage qu’affectionnent (consciemment ou inconsciemment) la plupart des incubateurs. Nous savions comment accéder à ces ressources gratuites. Nous nous retrouvions presque tout le temps avec les mêmes entrepreneurs d’un programme à l’autre – entrepreneurs avec les mêmes profils et études que les nôtres.
Enfin, grâce à nos réseaux, et parce que nous savions comment leur parler, nous avons pu boucler deux tours de financement en 2 ans pour tester différentes idées et chercher notre modèle.
- Protection : c’est plus facile avec des filets de secours
J’entends aussi beaucoup parler autour de moi de l’appétence au risque des entrepreneurs. J’entends beaucoup parler des risques que nous avons pris.
D’abord, contrairement à beaucoup d’entrepreneurs, c’était un choix. (Cela pose d’ailleurs en filigrane la question de l’entrepreneuriat choisi versus l’entrepreneuriat subi. Comment aussi aider les entrepreneurs par défaut, ceux qui reprennent ou lancent une petite entreprise moins par choix que parce que la seule option?).
Ensuite, nous étions extrêmement privilégiés et avec un risque extrêmement limité. En commençant nous avions accès à des financements personnels : des partenaires avec un travail et un salaire, accès à des projets de conseil freelance, coups de pouce de la famille. Et surtout, nous savions, dès le lancement de l’entreprise, qu’en cas d’échec, nous aurions des filets de secours et une seconde chance : avec nos diplômes et nos réseaux, une forme d’assurance, nous avions la possibilité de trouver relativement facilement un travail (et, dans le cas contraire, des cercles familiaux et amicaux capables de nous soutenir financièrement).
- Equipe: c’est plus facile à 3 que tout seul
Enfin mais surtout comme vous l’avez compris, nous étions 3 au départ de l’aventure. N’être pas seul dans les montagnes russes de l’entrepreneuriat, ça aide. Cela aide même beaucoup, énormément. Partager les hauts et les bas, partager l’intensité des émotions, cela permet de tempérer les moments de stress et d’anxiété (et aussi d’optimisme exagéré) et de maintenir toujours un souffle et une énergie – qui sont pour moi les ressorts fondamentaux de tout entrepreneuriat. Et être une équipe cela permet de démultiplier les possibilités et opportunités. Ne pas être seul permet d’accélérer cette transformation de projet personnel en organisation collective.
L’immense majorité des entrepreneurs et patrons de TPE n’ont pas accès à ces ressources. Quelle que soit la valeur de leur business, les barrières sont beaucoup trop importantes et l’accessibilité aux ressources trop inégalitaire. La première réflexion lorsque l’on parle d’accompagner les 3 millions d’entrepreneurs et de patrons de TPE doit s’articuler autour de l’accès aux ressources. La solitude, le manque d’accès à l’information et aux ressources, le manque de protection sont les 1ères causes des défaillances de micro-entreprises.
Ces ressources et coups de pouce – principalement formation, réseaux, protection – ne sont pas la garantie d’un entrepreneuriat réussi. Elles ne se substitueront jamais à l’énergie, la capacité de persuader et la résilience. Mais elles sont une condition nécessaire. Faisons de ces privilèges des atouts accessibles à tous pour accompagner les entrepreneurs à transformer leurs projets en entreprises.
2 commentaires sur « Pourquoi ma boîte a survécu plus de 3 mois »